mercredi 5 janvier 2011

Winston Churchill et le choix de l'austérité

Pour compléter le cours de ce matin, voici un article de Pierre Bezbach paru dans le Monde Economie du 7 décembre : "Partout en Europe sonne l'heure des politiques d'austérité : Grèce, Espagne, Portugal, Irlande, Royaume-Uni, et demain sans doute d'autres pays, dont le déficit budgétaire élevé et le poids de la dette font craindre l'insolvabilité.
Ces mesures - et les critiques qui leur sont adressées par ceux qui craignent qu'elles n'aggravent le chômage et ne dégradent la situation des salariés - nous renvoient aux débats qui se produisirent en Grande-Bretagne quand Winston Churchill (1874-1965) accéda en 1924 au poste de chancelier de l'Echiquier (ministre des finances) au sein du gouvernement conservateur de Stanley Baldwin.
La Grande-Bretagne subissait alors les effets de son déclin industriel vis-à-vis des Etats-Unis, mais aussi l'Allemagne et la France, qui connaissaient une forte croissance des nouvelles industries comme l'automobile, la chimie... Si la France et l'Allemagne voyaient leur monnaie s'effondrer en raison des conséquences financières de la première guerre mondiale, le dollar, lui, menaçait de supplanter la livre sterling sur le plan international.
Afin de défendre son rôle de monnaie de réserve internationale et la prééminence de la place financière de Londres, Churchill décida en 1925 de restaurer la valeur-or de la livre et son taux de change en dollar à leurs niveaux d'avant-guerre (soit 7,32 grammes d'or fin, et 4,86 dollars, alors qu'il était tombé à 3,4 dollars en 1920).
« Grande erreur »
Cette réévaluation réduisit fortement la compétitivité prix des produits anglais, qui se vendaient déjà mal en raison du vieillissement de l'appareil productif et de sa spécialisation dans des produits anciens comme le textile.
Pour compenser ce double handicap, il fallut baisser les coûts de production en comprimant les salaires et les dépenses publiques pour éviter toute tension inflationniste. Cela suscita une vive opposition des salariés et notamment des mineurs, qui s'engagèrent dans une grève générale en 1926, touchant près de deux millions de salariés. Mais elle fut vite réprimée et ne dura que dix jours.
La réévaluation attira cependant les capitaux étrangers, améliora la situation de la balance des paiements grâce au revenu des services, et n'empêcha pas, après une récession en 1926, le retour de la croissance. Mais le déficit de la balance commerciale passa de 200 millions de livres en 1924 à 350 millions en 1926 et à environ 250 millions en 1927-1928. La baisse des exportations aurait coûté 700 000 emplois, avec un taux de chômage supérieur à 10 %, avant même la crise de 1929.
Cette politique, que Churchill qualifiera plus tard de « plus grande erreur de sa vie », fut critiquée par Keynes dans son livre Les Conséquences économiques de Monsieur Churchill dès 1925. Il préconisait à l'inverse une dévaluation de la livre, davantage de création monétaire pour faire baisser les taux d'intérêt et relancer les investissements, et des grands travaux pour créer des emplois et augmenter la demande intérieure.
C'est ce qui se produira en 1931, et permettra à la Grande-Bretagne de connaître un spectaculaire redressement, sa production industrielle augmentant d'environ 50 % entre 1932 et 1937.
Aujourd'hui, l'Histoire semble se répéter et nous offrir l'alternative entre monnaie forte et austérité d'une part, relance keynésienne par des investissements publics et par une politique monétaire accommodante au niveau européen d'autre part."

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